Joe Cocker
Pop 2000, numéro 8, aout 1972 © Jean-Michel Comte

ll est enfin venu chanter chez nous! Sa dernère visite remontait à une époque où l'ancien plombier n'avait que ... "With A Little Help From My Friends" a son repertoire. Quelque temps avant la fameuse tournée "Mad Dogs And Englishmen". Il était programmé à la Mutualité, mais il préféra tout annuler pour s'envoler à Los Angeles pour régler les problèmes de musiciens qui finalement contraignirent le Grease Band à devenir autonome. Donc c'est la première fois que les Français pouvaient applaudir Joe Cocker depuis sa super-célébrité internationale. Paris le 27 juin, Lyon le 28.

 

Le centre des Sports et des Loisirs de Saint-Ouen constitue un lieu privilégié pour les sportifs. La tête aux fenêtres, ils regardaient amusés et intolérants. Le long cortège des "freaks", à pied depuis le métro, soit un trajet d'un peu plus un kilomètre. Après l’unique contrôle, on marche jusqu'a une espèce de palais des sports, moins impressionnant. La sono hurle des disques plus ou moins connus. Problème : chaque note, chaque mot se répercute deux ou trois fois contre les murs pourrissant le lieu de réverbération importante. Les roadies n'ont pas l'air enthousiasmés. Ils attendent que les 4000 pièces soient occupées pour effectuer une balance correcte. Ils sont une bonne vingtaine, anciens de la tournée "Mad Dogs" ou fidèles de Leon Russel. Le concert de ce soir constitue le premier d'une quinzaine que Cocker et le Chris Stainton Band doivent donner dans toute l'Europe avant d’enregistrer un album a Londres et de repartir aux Etats-Unis pour une tournée de trois mois.

Dans les coulisses, les gens paraissent détendus. L'organiste de Juicy Lucy tâtonne l'engin de Stainton. Patrice Blanc-Franquart note sur un bout de papier les noms des musiciens de J.-L.. Jean Bernard Hebey mange un bout avant son émission et les gens de Polydor vérifient les loges.

Dix minutes plus tard, c'est l'angoisse. Alors que les musiciens, les choristes et Cocker quittent leur hôtel pour Saint-Ouen, on apprend que Chris Staiton qui a manqué un premier avion, n'a pas encore débarqué à Orly.

Et la première partie commence. Il s'appelle Gerry Lockran, porte un costume de cuir et n'a pas le regard d'un premier communiant. Inquiétant mais talentueux. Il chante principalement du blues ou du folk. Sa voix swingue quelque peu, ce dont s'aperçoit le public vers la troisième chanson. Lockran réussit à maîtriser le public, ce qui l'aidera pour son second rôle d'annonceur Juicy Lucy. Au chant Paul Williams le sénior du groupe mais qui arriva après la création de Lucy la Juteuse. Au cours d'un break, son batteur vint s'asseoir sur une des caisses du matériel électrique. Il a besoin d'être écouté : "Il fait chaud". Le son est vraiment dégueulasse !

- Depuis combien de temps faites-vous partie de Juicy Lucy ? sera ma seule question. Il se libère : "Le groupe que tu vois a été formé spécialement pour cette tournée. Seuls le guitariste et Paul ont des antécédents avec Juicy. Ils devaient jouer avec Chris Stainton avant l'arrivée de Joe Cocker et des anciens du Grease Band. Mais cela ne collait pas. Chris les a gardés pour cette tournée. Moi, j'ai joué avec Blodwyn Pig ; nous sommes méme venus à Paris..."

Il doit retourner au "trime" et Juicy Lucy termine sur une excellente version de "Jumpin' Jack Flash". Sa prestation ne laissera pas des souvenirs impérissables. Ses musiciens jouent une musique qui "entre dedans", sans plus. Ils ont quand même souffert de la réverbération de la salle, ne pouvant s'entendre. Heureusement les "roadies" ont arrangé la situation à la fin de leur passage. Après un long entracte relativement calme du côté de l'audience, Chris Stainton et son orchestre arrivait sur scène. Le pianiste-organiste arrivait directement d'Orly, un bébé dans les bras, une "groupie" sur ses pas. Tous les musiciens sont en place, Stainton installe le bambin dans une poussette, tandis que Jim Keitner, l'un des deux batteurs donne le signal du départ. A gauche de la scène : les cuivres dont un trompettiste installé dans un fauteuil roulant. Au milieu : les deux batteurs, le bassiste, .un percussioniste, un guitariste et Stainton. A droite : The Sanctified Singers, quatre jeunes choristes noires qui entament une version de "Respect" assez "funky". La première partie de la prestation de Cocker sera, d'ailleurs, très "funky". Malheureusement l'ennui se fait sentir dans cette moitié. Il faut attendre les titres plus connus pour retrouver le Cocker que l'on attendait.

Après l'introduction des musiciens et des choristes, le chanteur sort des coulisses où il attendait patiemment son entrée. "Midnight Rider", la seconde face de son nouveau 45 tours avec une longue "intro" suivi d'un tempo assez uniforme. Puis c'est "Black-Eyed Blues" suivi d'une très longue version de "Love The One You're With" que très peu de personnes reconnurent. Version complètement remodelé sur un rythme très lent. Ce titre devait d'ailleurs figurer sur le premier simple de Cocker and The Chris Stainton Band. Ensuite nous avons droit au répétitif "Woman Is Woman", plus intéressant que sur le disque. Tranquillement et sans trop d'effort, nous arrivons à "High Time We Went", morceau qui réchauffe d'emblée l'ambiance. Les vibrations s'animent et le triomphe commence. "Feelin' Alright" de Traffic, "Cry Me A River" de Julie London conduisent à une première et unique sortie. Les musiciens quittent la scène, à l'exception du trompettiste, comme prévu. Le public exulte insatisfait. Cocker revient suivi des musiciens et des deux "groupies" qui depuis le début sirotent à grosses goulées du vin blanc dans des bouteilles de cognac. Le spectacle est vulgaire. "My Baby Wrote Me A Letter". Cocker se donne à fond parfaitement suivi par les musiciens parfaitement suivi par les musiciens et les choristes dont une retire sa perruque bouclée. Le rappel dure une vingtaine de minutes. Après "The Letter", "Sandpaper Cadillac" sublime. Tout le monde déménage. Le public, les coulisses, les artistes et les artistes. La chanson se termine, la soirée également. Cocker regagne sa loge pour déboucher une bouteille de champagne frais. Il ne reviendra pas malgré les désirs de l'audience. Il n'aime pas - parait-il - les rappels répétés. Un large sourire anime son visage. Stainton reste impassible, son bambin dans les bras. Les quatre choristes, elles discutent chacune avec un musicien. Dehors le long cortège reprend sous l’'œil attentif des rares agents de ville présents.

Le Palais des Sports de Lyon ouvrait ses portes, le 28 juin, à la tournée européenne de Joe Cocker. J'arrive là-bas vers 20 h 30 et me dirige vers le guichet : Oh ! Surprise, le prix d'entrée est de 16 F ; c'est à peine plus cher que certains bals de campagne organisés pour l'Association des parents des pauv' petits orphelins. (Tout ceci est bassement matérialiste mais il faut quand même le remarquer).

En entrant, un climat grandiose et une rumeur implacable planent dans cette immense salle, malgré seulement un millier de personnes environ ; quelques disques, pour une fois bien choisis, font patienter jusqu'au passage de Gerry Lockran, qui a bien du mal à impressionner le public très difficile de Lyon. Il joue sur sa guitare sèche un blues rythmé et bien fait. Il parait néanmoins très décontracté et fête son anniversaire (il a en effet 22 ans aujourd'hui) avec beaucoup de "fair-play" comme on dit dans le Cantal. Après G. Lockran vient le groupe anglais "Juicy Lucy" avec son merveilleux soliste : Mick Moody et son non moins merveilleux chanteur Paul Williams dont le jeu de scène fait un peu penser à celui de Roger Chapman mais avec une variante : Chapman fracasse ses tambourins tandis que Paul Williams les lancent à un road qui les lui renvoie et ainsi de suite. Ils commencent par des morceaux de hard-rock signés à Juicy Lucy - en pleine forme. Ensuite, Mick Moody prend sa mandoline et Paul Williams sa guitare sèche et ce sont deux splendides morceaux d'une beauté infinie.

Après cette trop courte accalmie, re-hard-rock pour finir sur un Jumping Jack Flash fulgurant qui n'a rien à envier aux Rolling Stones eux-mêmes. Vers 23 h 30; la troupe Cocker s'annonce sur un morceau où le chant est assuré par trois des "Sanctified Sisters" (la quatrième étant au piano) ; un morceau assez rhythm and blues. Puis Cocker apparait. Une série de morceaux très rythmés passent, où le Soul se fait prédominant et, en fermant les yeux, on aurait pu croire que Ray Charles était là. On a droit, au troisième morceau, à un solo de flûte, de saxophone, d'orgue (Chris Stainton) et de guitare.

Ensuite, Joe Cocker nous envoie un "High Time We Went" rapide et enlevé, ce qui donne une fraicheur et un renouveau à ce morceau. Deux ou trois blues se suivent, et à force, deviennent un peu monotones et ennuyeux. Mais ce n'est que pour mieux aboutir à un splendide "The Letter" dans lequel la merveilleuse trompette de Rick Alfonso saute de note en note avec une facilité et une légèreté infinies. En dessert, nous avons "Cry Me A River", bien interprété sans plus. Mais Joe Cocker ne fait pas que donner un concert, il le fait vivre et il fait entrer sa musique dans le corps de chacun. A l'aide aussi de ses deux batteurs Alan White et Jim Keltner, ayant une cohésion parfaite, le rythme est présent, implacable et d'une régularité parfaite. Le jeu de scène des choristes est particulièrement sincère et sans contrainte, ce qui amène de la joie dans cette musique.

Enfin, on peut dire qu'on nous a offert une musique saine, sans "cinéma", une musique où les musiciens n'ont pas l'air de dire : "Pourvu qu'on ait notre fric, le reste..."

Les 5 000 personnes présentes pour le show Cocker n'ont pas regretté leur soirée et Joe Cocker, lui-même, pantin désarticulé, nous a donné sûrement le meilleur de sa personne. Alors, merci Cocker !


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