"Joe Cocker - Retrock'n'roll"
Paris Match (2002) - Interview réalisée par Benjamin Locoge

Les critiques ne l’ont jamais considéré comme un génie, mais cet Anglais de presque 60 ans a vendu des millions de disques, devenant un dinosaure de plus dans le panthéon musical. Tandis qu’il sort "Respect Yourself" (EMI), son nouvel album, la star n’a pas envie de se stresser : il ne fume plus, ne boit plus, et se voit bien finir en ermite du Colorado.

Vous chantez depuis plus de trente ans. N’éprouvez vous pas de lassitude ?
Je viens d’avoir 58 ans, et je me disais il y a quelques jours : "Je vais partir pour une grande tournée de deux ans. A la fin de celle-ci, j’aurai 60 ans." Peur être qu’à ce moment là je réfléchirai. Je ne me sens pas vieux, même si parfois j’ai des difficultés que je n’avais pas auparavant.

Quel genre de difficultés ?
Pas vocalement. Même si j’ai perdu une partie de ma voie. J’ai fumé tellement de cigarettes pendant si longtemps… Quelle était votre question ?

Vous parliez de vos problèmes physiques.
Je ne le vois pas vraiment de cette manière. Le groupe qui joue derrière moi m’insuffle l’énergie pour y arriver. Ca dépote !

Comment occupez-vous votre temps entre les tournées et les sessions de studio ?
J’habite le Mad dog Ranch dans la Colorado depuis 1978, c’est presque un presbytère ! Ma femme tient un café sur la route, à la sortie du village. En ce moment, elle se prépare pour la saison, elle ouvre principalement l’été. La plupart de ses clients sont des bikers. Dons, son business, c’est plutôt les hamburgers ! Le coin ou nous vivons est l’occasion d’une vie différente, c’est la vraie campagne sauvage. J’adore cet endroit, c’est difficile à expliquer…

Vous devez vous ennuyer à la longue ?
Non c’est très calme. Tellement calme que certaines nuits ça en devient effrayant. [Rires.] Nous avons des chacals qui hurlent la nuit, flippant !

 

 

Pourquoi avoir déserté l’Angleterre pour les Etats-Unis ?
Dans les années 70, je rentrais en Angleterre après de longues tournées. Au fur et à mesure, mes vieux copains s’étaient mariés, avaient fait des enfants ou avaient tout simplement déménagé. Et j’ai fini par n’avoir plus d’amis en Angleterre. Donc, en 1975, je me suis installé à Los Angeles, puis à Santa Barbara. Quand vous quittez le Vieux Contient, habitué au rythme des quatre saisons, pour vous retrouvez en Californie, c’est étrange. J’étouffais dans la maison à cause de la chaleur. Alors, je vivais constamment dehors !

Quel est votre sentiment lorsque vous retournez en Angleterre ?
J’y ai chanté pour le jubilé de la Reine. Les Anglais sont toujours émerveillés par ce genre d’évènement. Quand j’étais enfant, il y avait cette photo d’elle au dessus de mon lit… Et maintenant c’est moi qui chante pour elle… [Rires] Le plus important, c’est le Coupe du monde de foot. Là, je redeviens un Anglais en quelques secondes. Ou que je sois dans le monde, je fais mon possible pour ne pas manquer les matchs. C’est très bizarre.

Vous jouez toujours de la guitare virtuelle ?
Oui et du piano également ! C’est du feeling. Si j’entends un putain de bon solo, je rentre dedans. Je crois que si j’avais l’instrument entre les mains, je saurais jouer les bonnes notes au bon moment ! Mais on m’a beaucoup critiqué pour cela. Je me souviens d’avoir été dans une maison quand j’étais ado où se trouvait Jimi Hendrix. Tous les gens étaient assis par terre, et lui, il tapait le bœuf avec un groupe d’Irlandais. Vous ne pouvez pas imaginer le souvenir que je garde de ce moment. Ce soir là, j’ai du faire pas mal de guitare virtuelle 200 000 watts dans une pièce, wooh !

Vous l’avez retrouvé à Woodstock. Trente trois ans après, est-ce toujours aussi mythique pour vous ?
Je jouais avec le Grease Band. Ce jour là, je pense que nous avons été plus que bons. Moi le p’tit mec venant de Sheffield, Angleterre, je n’avais jamais affronté de telles foules. Je sortais des bars et des clubs… A l’époque, j’ai pensé que nous étions en train de changer les choses. C’était bien lus qu’un autre festival.

Après Woodstock, vous avez disparu. Quel regard portez vous maintenant sur ce passage à vide ?
J’ai plongé au milieu des années 70, et je m’en suis sorti au début des années 80. Je me suis laissé entrainer dans les limbes da la vie. Et quand j’en suis revenu, j’en suis sorti étonné. A certains moments, je ne pouvais même plus monter sur scène. Je n’en ai presque aucun souvenir.

Depuis trois ans, vos disques se vendent moins bien, vos concerts attirent moins de monde. [Il coupe.]
Aussi longtemps que je pourrai avoir un lien avec mon public, je serai heureux. Peu importe si c’est devant 1000, 10 000 ou 100 000 personnes.

Avez-vous encore peur de monter sur scène ?
Je n’ai plus le trac. La seule chose qui ait changé ces derniers temps, c’est l’absence de bière. Avant j’en prenais toujours une ou deux pour le concert. Mais je n’ai rien vu depuis un a, après quarante ans de consommation. Lors de ma tournée avec Tina Turner, j’avais recommencé à boire de grosse quantité. Nous avons passé beaucoup de temps sur les routes, et j’avais toujours une canette sous la main. C’est le Colorado qui m’a aidé. Car aux Etats-Unis il est difficile de fumer ou de boire. Très peu de restaurants ont des tables fumeurs.

Donc vous ne fumez plus ?
J’ai arrêté depuis huit ans. Le jour où j’ai arrêté, j’ai mis un patch, puis je suis allé marcher dans la campagne. Et au milieu de la route, ou personne ne passe si ce n’est quelques ours égarés, il y avait une cigarette neuve. Je suis repassée au même endroit, quelques heures plus tard, et elle n’était plus là. Alors j’ai levé les yeux vers le ciel et j’ai dit : "Ok j’ai compris." Aujourd’hui quand je chante dans des endroits très enfumés, j’ai du mal.

Vous ne parlez toujours pas français ?
Le jour ou j’ai réalisé qui y avait un "the" féminin, je me suis dit : "Arrête, c’est plus qu’un langage. Comment peut-on être aussi précis !" [Rires.]


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