L’une des plus belles voix du monde
Le Soir Illustré (Novembre 1999) - Interview réalisée par Joëlle Lehrers

Joe Cocker pourrait chanter le Bottin et le public serait en transes. Ce survivant de Woodstock 69 est toujours là et bien là, trente ans plus tard. Son nouvel album propose une vision d’un monde peu ordinaire. Avec en bonus une chanson de Goldman… Interview.

De quelle façon avez-vous travaillé pour ce nouvel album ?

Ma maison de disques m'avait fait clairement comprendre qu'elle désirait un album moderne. Moi, je ne me préoccupe pas de coller à un genre particulier. Sélectionner les chansons a pris énormément de temps. Avant, j'entrais en studio avec un groupe de musiciens et j'enregistrais live quatorze ou quinze prises de chaque morceau. Cette fois, avec le producteur Steve Power, on a procédé différemment. Il a construit les musiques à partir de zéro.

Pendant plusieurs mois, je me suis demandé à quoi tout cela allait ressembler. Un jour, Steve faisait venir un guitariste ; le lendemain, un pianiste arrivait ; et, chaque jour, je passais au studio en pensant que c'était un peu bizarre. Les mélodies sont modernes et fraîches, mais l'instrumentation employée n'est pas plus moderne que celle de mes précédents disques.

Comment se fait-il que, parmi tous les auteurs anglo-saxons choisis, se trouve le Français Jean-Jacques Goldman ?

Je savais que Jean-Jacques Goldman avait travaillé avec Céline Dion, mais j'ignorais qu'il était une telle star en France. L'album était presque terminé lorsque j'ai reçu une mélodie signée de lui. Michael Jones, son guitariste et ami, est venu à Los Angeles pour en écrire les paroles.

Et on a bouclé la chanson en un après-midi. Mais je n'ai jamais rencontré Goldman. J’ai pensé également faire un duo avec Axelle Red, sans savoir, jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs, qu'elle est Belge. Mais les chansons que j'ai reçues me paraissaient un peu faibles.

Sur ce disque, vous reprenez “First We Take Manhattan“ de Leonard Cohen ; ne craignez-vous pas d'être plus connu pour vos reprises que pour vos chansons originales ?

Je fais cela depuis des années et je n'aime toujours pas le terme reprise. Mes fans apprécient d'entendre, sur disque ou en concert, les versions que je donne de chansons créées par d'autres. Alors, étant donné cet accueil, je ne vois pas comment cela me dérangerait.

Quand on m'envoie des chansons, je sais qu’elles n’ont pas été spécialement écrites pour un homme de cinquante-cinq ans. La plupart des compositeurs écrivent, aujourd'hui pour des chanteurs plus jeunes, du style boys bonds. La race des grands compositeurs, qui travaillaient dan les maisons d'édition, a pratiquement disparu. Cependant, le bureaux de ma firme de disque débordaient de cassettes qui m'étaient envoyées.

Vous chantez de manière plus douce. Ou est passée votre rage ?

Je ne suis pas devenu plus doux mais c'est vrai que ma voix est moins rauque qu'avant. Elle était également plus reposée puisque je n’ai pas enregistré dans la foulée d’une tournée. Dans le passé, il est arrivé d'être tellement excité à l’idée de chanter que je perdais un peu le contrôle. Ma voix allait très loin, très fort. Mais c'est justement ce qui plaisait au public. Avec l'expérience on sait comment mieux faire métier et maîtriser sa voix.

Avez-vous un truc pour votre voix intacte ?

En dehors du fait que j'ai cessé de fumer, je n'ai pas de truc. J’ai pris cette décision, il y a six ans, après avoir passé quinze heures dans un avion qui m'emmenait en Australie. J'ai cru que j'allais devenir fou ! Depuis, quand je pénètre dans un pub, en
Europe, je respire un bon coup l'odeur de cigarette et j'ai ma dose Chez moi, je ne chante pratiquement jamais. Et la veille d'une tournée, je suis toujours sur les nerfs. Depuis huit ans, je vis dans les montagnes du Colorado. C'est pratiquement inhabité. Il y a tout au plus cinq cents habitants dans mon village.

Les premières années, les mois d'hiver me paraissaient vraiment pénibles. J'avais l'impression d'être en prison. Depuis, je me suis acclimaté et j'adore vraiment vivre dans cette région. J'ai un petit troupeau de vaches africaines, je fais de la pêche à la mouche, je vis vraiment proche de la nature. Lorsque je suis en Europe, dans le cadre d'une tournée ou de la promotion d'un album, je suis comme Dracula. Jamais couché avant quatre heures du matin. Mais, dans mon ranch du Colorado, je me lève de bonne heure, je promène mes chiens à huit heures du matin et je me couche vers onze heures du soir. Oui, bon, ce n'est pas très Rock’n’Roll ! (Rires).

Mais cette vie-là, vous l'avez menée dans les années septante !

Ce fut ma période sombre. J'étais tout le temps stone, y compris sur scène. Je m'étonne encore d'avoir donné autant de concerts dans un tel état ; et aussi que mes collaborateurs aient toléré si longtemps un tel comportement. Je me nourrissais mal, je prenais de la drogue et je me soûlais. Je pouvais continuer comme ça jusqu'à la mort ou me ressaisir. Et puis, en 1980, j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. C'est elle qui m'a aidé à m'en sortir. Sans elle, je ne serais peut-être plus là aujourd'hui.

Quel est le concert le plus étrange que vous ayez donné ?

C'était il y a très longtemps, en Allemagne. On m'avait proposé cinq mille marks (cent mille francs belges) pour chanter dans une fête d'anniversaire. Cette somme me paraissait vraiment conséquente, à l'époque. J'ai donc accepté l'offre. Et, au premier morceau, mon groupe et moi-même avons fait sauter l'électricité de la maison !


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